12 ans de brassage incomplet des eaux du Léman, quels enjeux ?

Cet hiver, une fois de plus, le brassage des eaux du Léman est resté incomplet. Les données de la CIPEL, la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman, indiquent une profondeur de brassage de 100 mètres, un chiffre inférieur à la moyenne des dix dernières années. Les conditions plutôt clémentes de cet hiver n’ont permis qu’un brassage partiel des eaux du Léman, maintenant la concentration en oxygène des couches profondes à un niveau préoccupant pour la santé de l’écosystème lacustre.

Cette année 2024 est ainsi la 12e année consécutive sans brassage complet des eaux du Léman, le dernier datant de 2012. Le brassage des eaux participe au bon état écologique du lac en facilitant le transfert de l’oxygène aux couches profondes. L’homogénéisation des masses d’eau permet également une redistribution des nutriments accumulés au fond du lac dans la colonne d’eau.

Cet hiver, les conditions nécessaires à un brassage en profondeur n’ont pas été réunies, et seuls les 100 premiers mètres du Léman ont pu se mélanger efficacement. À titre de comparaison, la profondeur moyenne de brassage pour les années 2011 à 2023 était de 150 mètres. En cause, des températures plutôt élevées enregistrées cet hiver, particulièrement sur le mois de février où la température des eaux de surface était en moyenne supérieure de près de 2°C (+1,9°C) par rapport à celle de la période de référence (1991-2020).

En dehors de la période hivernale, le lac présente une stratification thermique qui empêche le mélange des eaux profondes avec celles de surface. Avec l’arrivée de l’hiver, les eaux de surface se refroidissent, atteignant une densité comparable à celle des couches profondes, permettant ainsi le brassage. Si la température des couches de surface baisse suffisamment, le brassage, motivé par le concours de vents suffisamment forts, peut mobiliser l’entièreté de la masse d’eau et assurer ainsi une homogénéisation des nutriments et de l’oxygène dans toute la colonne d’eau. La mise en mouvement d’une masse d’eau importante, comme celle du Léman, repose donc sur une conjoncture d’événements météorologiques favorables qui ne se rencontrent que de manière épisodique.

Historiquement, les eaux du Léman se mélangent sans nécessairement impliquer toute la colonne d’eau. L’absence de brassage complet, appelé aussi retournement, n’est donc pas un phénomène nouveau pour le Léman. Cependant, une période d’absence de brassage prolongée, comme celle traversée actuellement par le Léman, contribue à maintenir un état d’hypoxie des couches profondes entraînant la formation d’une zone pauvre en oxygène au fond du Léman. Auparavant, limitée aux derniers mètres de la colonne d’eau (309 m de profondeur maximale), cette dernière s’étend maintenant par moments jusqu’à 250 mètres. Cette raréfaction de l’oxygène dans les eaux profondes est également associée à une augmentation progressive des températures.

Avec la hausse des températures hivernales, induite par le réchauffement climatique, la perspective de voir un brassage hivernal complet sur le Léman s’éloigne. Une évolution vers un lac plus stratifié pourrait conduire à une désoxygénation accrue des eaux profondes et entraîner, ainsi, des effets indésirables pour la faune qui y vit. D’autres effets, comme le relargage de phosphore à partir des sédiments sont aussi à prévoir. De plus, une accumulation de phosphore dans les profondeurs du Léman pourrait causer une fertilisation importante lors du prochain brassage et favoriser un développement algal, impactant notamment la qualité de l’eau et la baignade.

C’est pourquoi, il est aujourd’hui primordial de poursuivre les actions de surveillance et de suivi du Léman pour être en mesure de relever les défis futurs imposés par l’intensification des changements climatiques.